À pas lents…
À la trace des papillons… des cigales et de l’ombre… au hasard des moments… je t’écris pour te dire la variété de douleurs à conjuguer quand on vit seul ou avec quelqu’un… Que l’on rencontre l’univers ou le monde… les étoiles ou les aubes… toujours dénué de preuve… toujours à faire le saut… à faire le mur… tracer des pistes pour s’égarer… Combien d’exil en exil intérieur… combien de choses à dire… et d’autres à taire…
Je t’envoie ces fragments de pensées pour que tu lises dans les étoiles filantes du sud… combien il m’est difficile de vivre… sans mes démons… Chose compliquée et triste qui me prend souvent au cœur comme un caillou…
Je viens de sous les cales aux esclaves… d’avec les colères des dominés… les visages striés de ceux qui ont faim et soif… Je traverse… trace… fais le saut… fais le mur… la mer… occupe… pense… creuse avec la rage et l’obstination des loups… Je viens des balafres de l’histoire… tissu vivant pour faire vague… faire vivant… faire tambour avec les désirs les plus inattendus… Tissu vivant en éruption à faire scalper les désirs…
J’habite les colibris d’une tristesse… et d’un rêve fulgurant… comme une forme hagarde qui déjoue le hasard et se tient au fil tendu du temps… clandestine dans la vase d’une nuit… Rien de plus… Je me vois… une peinture en branle… incertaine dans les sillons de quelques cils envoûtants… pas même la veine d’oubli…
Visage à la nuit noire zébré d’aube et de monologues… Visage vallon… montagne… terre argileuse éclatée… ombre fissurée… frémissement… en sursaut… en cris… en désordre… en cerceau dans un empressement réticent… Le lieu de ce visage n’a pas à être dit… Tendre moquerie… À ses mains se nouent un feu égaré et un sable vagabond… C’est ainsi… Seule à la nuit close… où les yeux voient ce que croit voir l’œil… cette profusion… Vite… faire le vide et le refermer… Longuement les nuits d’été… à s’y méprendre… se raidit bizarrement le temps et son étoffe… du même coup… pour qu’ensuite… comme dans un cirque… les rires s’évanouissent arrachés à la pâle culbute de la fin…
À l’aube… un frémissement… un papier blanc ou une aile pliée d’un oiseau migrateur… Il s’agit d’un spasme… d’une convulsion… d’une contraction ou quelque chose de ce genre… Désormais… chaque moment passe au travers des tamis d’absences… au travers la lie d’exister… Le tout emplit tout et ce n’est qu’une parenthèse… Le vent erre dans le vent… L’ombre douillette des chemins balaie les visages que l’on voudrait présents…
Les jours passent… qui ne sont rien… le temps n’y peut rien… Énigmatiques vies qui s’en vont ailleurs… loin… donner du tambour… du saut… du désastre… du remous… à des respirations qui reprennent du voyage… comme des amants qui n’ont jamais mieux connu que le manque… si commun… Il semble que la distance ne puisse finir… Chemins invisibles tenant à la terre sa chevelure… mais rien n’est prêt… Comment dire cela ? Comme une aube ou si peu… un très court instant à peine plus tard… si profonde… en désordre à recevoir nos souvenances… élan de mots… de traces… et éclats de temps…
J’entends nos pas… nos errements… leurs hésitations… leurs rumeurs… leurs secrets grouillements… hasardeuses écumes… illisibles désordres… le vivre en expédition… en tribu… en écorce… en enchevêtrement aux lèvres des averses… en plusieurs… sans trajectoire… sans mesure… À pas lents en cadences… sans mesures… dans les tracés de ce qui nous inaugure…
On butine à l’écrire… au vivre dans ce qui niche dans les interdits… dans le dérouté… le rebondir… la prédation… dans l’alcool… Comme participer à une embarcation aux débouchés incertains… aux chemins d’enfances étranges… aux détours subtils… en énigmes… Un peu rien rêve… une paix qui vient jusqu’à nous et lancine…
C’est ainsi que les Hommes… rentrent… bavards… ou silencieux… peu importe… ils rentrent parce qu’ils pensent qu’il n’y a rien d’autre à envisager… Ils pouvaient… entre silence et silence… broder… dans les tourbières de ce qui vient… des colères à faire dresser les cheveux de ceux qui n’ont rien à voir avec la vie… Faute de toute prise… ils sont parmi les naufrages…
Des pensées balbutiantes… d’instant en instant… d’âge en âge… d’un comment en comment… dans la courbure des chaos et la houle de leurs existences… Ainsi de ces tangentes naissent les chemins… Je contemple le vin… dans un verre de Bohème avant de le goûter… sa couleur est légère comme les noms secrets des abeilles… sa présence est comparable à celle d’un silence de quelques lèvres gorgées… légères de mystères… Je n’ai ni à être en avance ni à l’heure ni en retard… cela briserait mon silence et mes errances…
Tarek Essaker