‘Quelque chose me manque quand je n’entends pas de musique, et quand j’en entends le manque est encore plus grand. Voilà ce que je peux dire de mieux sur la musique’, écrit Robert Walser (1878-1956) dans ‘Ma musique’ en 1902, et voilà aussi ce que semble illustrer le propos ci-après.
‘La distance observée par Walser à l’égard des concerts et de l’opéra correspond à sa répulsion pour ce qui est pompeux et prétentieux. Son écriture rappelle souvent des procédés musicaux comme le libre traitement d’un motif isolé, ou le jeu inquiet des assonances et des rythmes, accompagné de chatoyants décalages entre musique et signification’. Voici ce que les éditeurs de ses textes, Roman Brotbeck et Reto Sorg, peuvent dire de mieux sur les écrits musicaux de Robert Walser.
En contrepoint, nous donnons une autre illustration, musicale celle-ci, due à Erik Satie (1866-1925), et concertante au-demeurant – tant on est habitué à n’entendre généralement de lui que ses œuvres pour piano. Walzer eût sans doute apprécié, lui qui devint un point de repère pour la ‘jeune musique’ ; Satie étant celui qui osa déclarer : ‘Je ne tarderai pas à faire usage d’une originalité déplaisante, hors de propos, anti-française, contre nature, etc…’
Les pantins dansent
Ce concert m’a extraordinairement plu. Avec distinction, j’ai tendu l’oreille en quelque sorte au-delà de la musique. Le chef d’orchestre me touchait. Ne perds pas de vue, je t’en prie, toutes les raisons que je crois avoir de me considérer comme cultivé. Faut-il se noyer entièrement dans les constructions de l’art ? Cela semble nécessaire, parfois, mais ce n’est pas indispensable pour autant. Ce qui voulait me bouleverser, je le laissai froidement perler sur moi. Pour me dédommager d’une absence d’émotion, j’entamai de muets conciliabules avec mes voisines, occupation dans laquelle je sus mettre un sens plus profond. Ici, j’effleurai tendrement une main, là, je fis flamboyer une paire d’yeux en les fixant ardemment. Était-ce difficile de correspondre avec une jambe ? Ce genre d’avances sont sans équivoque et de ce fait, se comprennent sur-le-champ.
La tendresse, dispensée raisonnablement et présentée avec quelque goût, ne peut que se rendre aimable. Mon pied trouva moyen de faire appel à un petit pied, qui parut avoir quelque inclination pour le langage que le mien lui tenait. Ainsi, j’étais pour ainsi dire débordé de travail de tous côtés. L’art n’est-il pas le serviteur de la vie, qui est censé nous égayer et nous rendre heureux ? C’est donc dans les meilleures dispositions d’esprit que je quittai la salle de concert lorsque la dernière note eut retenti et qu’on se leva. Je descendis l’escalier dans la conscience du devoir accompli. Au vestiaire, j’aidai des dames à enfiler leur manteau, comme il sied, et pour le ravissement des bénéficiaires. Je compte la galanterie parmi les jouissances les plus exquises. Par conséquent, j’ai bien raison de dire que le concert m’a satisfait.
Robert Walser, ‘Concert’ (1925), extrait de ‘Ce que je peux dire de mieux sur la musique’, Zoé, Genève, 2019, trad. de Marion Graf. D’après l’édition allemande, ‘Konzert’ in ‘Das Beste, was ich über Musik zu sagen weiss’, Insel verlag, Berlin, 2015.
Erik Satie, ‘Les pantins dansent’ (‘poème dansé’, 1913), Orchestre des Concerts Lamoureux, dir. Aldo Ciccolini, 1970. Album ‘Les inspirations insolites – Erik Satie’, EMI Pathé Marconi, 1970.
Dans nos pages, on trouvera d’autres références (texte et musique) relatives à ☛ ERIK SATIE.