Au regard de ce qui s’écrivait par ailleurs […LA CHARRUE AVANT LES BŒUFS], il est vrai que nous entrons dans une époque sans charrues, sans charrues visibles au regard de l’ « homo urbanis » que nous sommes devenus — et quel nom encore pour ces énormes attelages motorisés qui retournent nos plaines ?!
Il n’y a pas si longtemps, dans un pays où la terre est l’essence même du pays, Lucian Blaga écrivait :
Ami grandi en ville,
Sacrifié à l’instar des fleurs à la fenêtre,
Ami qui n’as encore jamais vu danser
Les champs et le soleil sous les poiriers en fleur,
Je veux te prendre par la main,
Viens pour que je te montre les sillons du siècle.
Sur les coteaux, où que tu te retournes,
Le bec fiché dans le champ, sainement,
Il y a des charrues,
Des charrues, des charrues sans nombre :
Grands oiseaux noirs
Descendus du ciel sur la terre.
Pour ne pas les effaroucher,
Tu dois t’avancer vers eux en chantant.
Viens, doucement.
Lucian Blaga, Charrues, În marea trecere / Au fil du temps.
Traduit du roumain par Philippe Loubière,
Colecţia Gemini, Editura Paralela 45, Bucarest, 1995.
Photo : P. H. Emerson, 1886, détail.
Publié initialement dans les pages ‘Lectures en partage / Plurielles’ du site sous le clavier, la page, en janvier 2009.