Voilà évidemment le contraire même de la définition du World Wide Web. Le Web se définit comme un espace qui appartient à tous, et le sentiment du passé y est forclos.
Il n’existe pas de nationalités sur le Web (à part bien entendu, le fait que sa lingua franca est une version diluée de l’anglais) et pas non plus de censure (sauf que les gouvernements trouvent le moyen de barrer l’accès à certains sites).
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Le passé (la tradition qui conduit à notre présent électronique) est, pour l’utilisateur de l’Internet, sans intérêt, puisque tout ce qui compte, c’est ce qui apparaît dans l’instant. Comparé à un livre, dont l’aspect matériel trahit l’âge, un texte appelé sur l’écran n’a pas d’histoire. L’espace électronique est sans frontière. Les sites — c’est-à-dire les patries spécifiques, bien définies — y ont leurs fondations mais ne le limitent ni ne le possèdent ; c’est comme de l’eau sur de l’eau. L’Internet est quasi instantané ; il n’occupe pas d’autre temps que le cauchemar d’un présent perpétuel. Tout en surface et sans volume, tout au présent et sans passé, le Web aspire à être (se fait valoir comme) le domicile de chaque utilisateur, où la communication est possible avec n’importe quel autre utilisateur à la vitesse de la pensée. C’est là sa caractéristique principale : la vitesse. Bède le Vénérable, déplorant la rapidité et la brièveté de notre vie sur Terre, la comparait au passage à travers une salle bien éclairée d’un oiseau entré de l’obscurité à un bout et ressortant à l’autre bout vers l’obscurité ; notre société interpréterait la lamentation de Bède comme une vantardise.
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Alberto Manguel, La bibliothèque, la nuit, essai traduit de l’anglais par Christine Le Bœuf, Actes Sud 2006, coll. Babel, pp. 231-233.
Excellente lecture ! Ce monsieur-là me plaît bien qui, enfant, fit la lecture à un autre (grand) monsieur aveugle qui se nommait Borges. Et, pour ne rien gâcher, aujourd’hui, il a choisi, lui, le judéo-russo-argentino-canadien, d’installer sa bibliothèque et son aimable personne à deux pas de chez nous, dans la doulce France, à une portée de devinette de La Devinière. Heureux métissage.
J’ai acheté ce livre hier,conquise à le feuilleter deux minutes !
Alors ,c’est dit, je n’avais pas lu ce billet encore. C’est pour moi la façon de dire faites comme moi !…
Hécate