Chose promise, et qu’on l’entende comme on veut — ou comme on peut —, voici l’autre versant, mais si complémentaire, de ce que Pablo Neruda rendait manifeste dans son poème présenté hier. Ici, la passion érotique au corps à corps, ou plutôt au corps contre corps, de deux êtres, une femme et un homme, seuls avec eux-mêmes dans cet événement bouleversant — « bouleversifiant », pour reprendre le mot si juste d’une amie — qu’est, selon D.H.Lawrence, « l’antique passion qui unit ».
Autant poète qu’écrivain, romancier et essayiste, loin de la figure scandaleuse à laquelle une certaine société puritaine, de triste bourgeoisie sexiste, à voulu le réduire, D.H. Lawrence est certainement d’abord un « moraliste ». N’écrivait-il pas : « Là où il y a du vrai sexe on trouve une passion latente pour la fidélité… » et, même, revenant sur le motif dans un très beau poème intitulé d’ailleurs « Fidelity » :
Et quand à travers tous les sauvages orgasmes de l’amour doucement se forme une pierre précieuse dans les anciennes roches refondues de deux cœurs humains, deux anciennes roches, un cœur d’homme et un cœur de femme, c’est le cristal et la paix, le lent et dur joyau de la confiance, le saphir de la fidélité. Le gemme de paix mutuelle émergeant du chaos sauvage de l’amour.
Aussi, lorsque dans son roman fétiche, « L’amant de Lady Chatterley », Connie, Lady Chatterley « rencontre », à Nottinghamshire, Mellors, son garde forestier, non pas au-delà, mais à travers les péripéties amoureuses elles-mêmes, c’est effectivement « le gemme de paix mutuelle émergeant du chaos sauvage de l’amour » qui se découvre, et c’est aussi ainsi que se conclut cette rencontre, qui est pour eux deux découverte et révélation. Tendresse et fragilité tel est in fine ce qui trame le « vrai » rapport amoureux.
Ah ! C’est trop beau ! C’est trop beau ! Dans le flot, elle comprit toute la beauté. Maintenant, tout son corps s’accrochait avec un amour tendre à l’homme inconnu, et aveuglément au pénis qui se flétrissait, pendant que tendrement, faiblement, sans le savoir, il se retirait après le fier impact de sa puissance. Comme il se retirait et abandonnait son corps, si secret et si sensible, elle poussa un cri inconscient de pur effroi et essaya de le réintroduire en elle. Cela avait été si parfait ! Elle elle l’aimait tellement !
Seulement maintenant elle se rendait compte de sa petitesse, de sa réticence de bobèche et de la tendresse de son pénis, et un petit cri d’émerveillement et de douleur lui échappa à nouveau, le cri de son cœur de femme stupéfaite par la délicate fragilité de ce qui avait été puissance.
« C’était si beau ! » gémit-elle. « C’était si beau ! » Mais il ne dit rien : il l’embrassa doucement, gisant sur elle sans bouger. Et elle gémit dans une sorte de béatitude, comme un holocauste ou une créature qui vient à peine de voir le jour.
D’ailleurs, Lawrence lui-même prend les devants dans sa préface afin de désamorcer le mauvais procès qu’on tente de lui faire en précisant :
C’est cela que le monde nommerait indécence. Mais toi tu sais que ça n’est en rien indécent. Je me bats toujours pour la même chose, pour rendre le rapport sexuel acceptable et précieux, et non honteux. Et dans ce roman je suis allé encore plus loin. Pour moi, il est beau, tendre et fragile comme la nudité elle-même.
Ainsi, pour moi, la cause est entendue.
D.H. Lawrence, extraits de Fidélité dans Pansies / Pensées et de L’Amant de Lady Chatterley, Éditions Gallimard, Paris.