En marge, ou plutôt en prélude d’une relecture, à venir, de l’œuvre du vieux compagnon Tarek Essaker, je donne ici une page du “projet” Ô Gamra, puisque, plus que d’un livre édité, il s’agissait d’un vaste travail dramaturgique abouti-inabouti. Page de transition donc entre un texte et un autre Les Cheminants. Un verbe “inspiré”.
ÉCOUTE LE CHUCHOTEMENT DU SILENCE
Écoute… Écoute, m’a -t-on dit.
Écoute… Écoute le chuchotement du silence et la parole frémissante qui vient de l’ombre et de son épaisseur.
Écoute… Écoute, m’a-t-on dit.
Écoute… Écoute la parole-énigme qui sèmera la vie et ordonnera le désordre. Infatigable parole. Insoumise, elle respire pour encore frémir à l’appel de l’incertain.
Écoute… Écoute ton corps et ses signes, m’a-t-on dit, celui qui voit, entend et sait et ne garde de toi que l’étendue de ton absence.
Il demeurera un corps doux d’oubli, un fruit de mort.
Si, dans le miel de son désir, les formes ne te suffisent pas, alors ne le crie pas en vain.
Écoute… Écoute le peu de l’histoire qui reste de nous.
Écoute la rencontre avec la voix qui ne te dispense pas de la plainte.
Et maintenant que tu le sais, que tu as écouté, que tu as marché dans la voie du récit et que tu n’oublieras pas mon visage et celui des autres, tu apprendras, comme l’eau, que ce qui t’attend ne sera ni l’ombre, ni la clarté, mais cette rencontre, cette passerelle d’où surgit brusquement toute chose soudaine, étrange et incertaine.
Écoute… Écoute, m’a-t-on dit, cette passion douce-amère qui te parle de toi-même et de ce que tu aurais pu être ou de ce qui fut toi. Il y a bien plus encore.
Écoute… Écoute, m’a-t-on dit, on est venu t’arracher à ton nom et auquel nul ne répond. Ton nom est une terre à venir et un rêve perdu qui vient battre les syllabes de l’existence.
Écoute et vois les passeurs de mots, ceux qui épient les deux rives de la question ; quelque chose sur leurs lèvres s’est égaré.
Dans les commissures de leur geste quelques signes errent jusqu’à la dissolution.
Écoute le miroir qui se tait et garde de toi le reflet de sa parole.
Que ton règne soit :
Chemin, visage, passerelle, chapelet, silence, voix et distance, désordre et sommeil pour que tu te souviennes.
Écoute… Écoute le visage qui frappe à ta voix pour que le chemin soit accompli pour toi.
Ici, sur cette passerelle, finissent les désirs inaccessibles, la parole impossible.
Ici finissent l’insomnie de la folie et la présence de dieu. Tout finit ici. Peut-être que l’exil glissera entre toi et toi ?
Peut-être que la nuit bercera ton jour et viendra sceller à tes rêves l’absence ?
Peut-être que ton corps t’indiquera les prénoms des désirs que tu fuis.
C’est alors que tu écouteras retentir en toi quelque chose à garder telle une promesse d’éternité.
Et puis, il y a le temps.
Tarek Essaker.
Poète, écrivain, dramaturge, né en 1958 à Gafsa en Tunisie, Tarek Essaker vit en Belgique. Il a publié dans de nombreuses revues en Belgique, France et Tunisie et son œuvre écrite, elle, l’est aux éditions Tétras-Lyre (en Belgique), L’Harmattan, Caractères, H-B Éditions et Le Mot Fou (en France). Plusieurs adaptions pour la scène et la mise en espace sonore ont été réalisées notamment sous sa direction.
Publié initialement dans les pages ‘Lectures en partage / Plurielles’ du site sous le clavier, la page, en octobre 2003.
Photo : crédit de Keril Karlsen, détail, sur un proposition visuelle de Patricia Mensa, page Facebook.
TRADUCCIÓN+ AL ESPAÑOL [CASTELLANO] de PATRICIA MENSA, publicada en su página de Facebook [Revisión de Juan Raúl Rodriguez]. | También lea su traducción de la primera página de ☞ LA FILLE DE LA RIVIÈRE | LA NIÑA DEL RÍO
ESCUCHA EL SUSURRO DEL SILENCIO
TRADUCTION+ en arabe de Ziad Ben Youssef, extraite de l'édition complète des CHEMINANTS, à paraître en édition bilingue.
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