ENTRE VOCABULAIRE ET ENFANCE [TAREK ESSAKER]

À chaque fois la mort retrousse sa jupe ou le temps son tablier pour aller plus vite en besogne.

Vieille, aussi ancienne que l’épaisse couche d’argile desséchée, aussi vieille que sa première couche amoureuse dont elle n’a même plus souvenir.

La vue en déclin. On la nomme l’Ancienne.

Elle est grave gaie triste bruyante rieuse joyeuse drue vivante lumière taciturne la bleu agréable nostalgique taquine colérique comme un feu, non, plutôt comme un brasier épais et mystérieux.

Ce bleu, n’est pas bleu, disait-elle, cet ocre non plus. Elle ne sait à quoi les mots lui font penser.

Tout au fond d’elle-même trouble, tremble, déforme, visible, absente.

Elle tamise, elle filtre, elle ruse, cache, elle pleure, elle lance des pierres, rouvre les yeux et devine que le bleu n’est toujours pas bleu, plus léger, plus imprévisible, autant indéchiffrable que son regard.

Est-ce incongru ? Est-ce large ? Est-ce son sommeil ? Est-ce son drame ou sa tragédie ? Ou, est-ce un cimetière d’Hommes effondrés ?

Elle se penche au plus bas qu’elle, têtue, elle joue tour à tour avec l’ombre, le vent, les rumeurs, les indéchiffrables enfantines amours, les impatients miroitements des soubresauts, tout ce qui suit la fin de quelqu’un ou de quelque chose. Un enjouement, une glissade, un rire dans les migrations incessantes, des respirations tristes, des regards profonds pour que les traces restent.

Si je lève les yeux vers le ciel, disait-elle, il est certain que le bleu ne sera bleu. Cela ne fait rien. Plus rien.

La perfectibilité d’en finir. L’allégresse de toucher âme et corps au chaos.

Elle sonde l’aridité des pierres, dégrafe les blessures, une à une, persuadée que quelque chose est rompue. Quelque chose, incessante à non plus finir, murmure de sous la terre. De sous ses pas. Vivace, d’une trappe à l’autre. Tant vrai que sans transition, elle brode un vide à l’autre espérant le retour.

Elle réémerge dans une partie perdue d’avance. Cela ne fait rien. De petite chose en petite chose, toute en torsade, elle arrivera à finir de mémoire, ce que ces ancêtres brodeuses lui ont appris…

Détrousser les langues, disait-elle, les reliefs des vivants et les morts, les mots, les broderies et les arbres pour être sauver, pour circuler frondeur, à contre-courant, à contrecoup pour cueillir de si loin qui nous sommes. De si près, nos noms, invraisemblables parures où le monde tentait l’ordre dans l’oubli…

 

Tarek Essaker

Photo de VS, sur un [bon ou mauvais] motif de Tarek Essaker.

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