En 2003, je donnais ici une anecdote relative à Hatem le Sourd, citée par Elias Canetti. Aujourd’hui, souhaitant la republier, je trouve cette autre fable, attribuée, elle, à Saadi, qui donne une autre explication à la surdité de Hatem. Et puis, creusant un peu plus, je découvre dans l’édition de 1759 du Grand dictionnaire historique de Moréri, une troisième version qui nous rapproche de la première. Je vous laisse le loisir de la lecture et du choix, sachant que, comme on dit, il n’y a pas qu’un seul chemin pour accéder à la sagesse. Quant à la photographie, sensée illustrer probablement un poème, je n’en ai pas trouvé l’origine sur le site dont elle semble provenir.
Si grande était la charité d’Hatem le Sourd qu’un jour où une femme était venue le voir pour lui poser une question et avait lâché au même instant un vent, il lui dit : “Parle plus fort, j’entends mal.” Il dit cela pour que la femme n’eût pas à rougir. Elle éleva la voix et il répondit à sa question. Aussi longtemps que cette personne vécut, soit une quinzaine d’années encore, Hatem continua de faire semblant d’être sourd afin que nul ne pût dire à la vieille femme qu’il ne l’était pas. Quand elle fut morte, il se remit aussitôt à répondre aux questions. Mais jusque-là, il avait dit à quiconque lui adressait la parole : “Parle plus fort.” C’est ce qui lui valut le nom d’Hatem le Sourd.
Farîd al-Dîn Attâr, cité par Elias Canetti, Le Cœur secret de l’horloge.
Publié originellement dans les pages ‘Climats…’ du site sous le clavier, la page, 27 octobre 2003.
Si quelques historiens s’accordent à dire que Hatem était sourd, n’en crois rien. Un matin, le bourdonnement d’une mouche prise dans les filets d’une araignée se fit entendre. Trompée par l’immobilité et le silence de cette ennemie rusée, la pauvre mouche était tombée dans la toile qu’elle prenait pour du sucre. Le scheïkh contempla cette scène avec les yeux d’un sage et s’écria : « Malheureuse esclave de la convoitise, pourquoi ces angoisses ? tout n’est pas du miel et du sucre, mais il y a des pièges tendus dans les recoins obscurs. » — Un de ceux qui se trouvaient dans la pieuse communauté (des soufis) dit au scheik : « Pionnier de la route qui mène à Dieu, c’est pour moi une surprise que tu aies entendu un bourdonnement qui arrive à peine à nos oreilles ; puisque tu peux percevoir le faible murmure d’une mouche, l’épithète de sourd ne te convient plus désormais. » Hatem sourit et répondit : « Homme au cœur vigilant, sache qu’il vaut mieux être sourd que d’entendre des propos frivoles. Les frères qui vivent avec moi dans la retraite se tairaient volontiers sur mes défauts et me donneraient le change par leurs flatteries. N’étant plus averti de mes erreurs, je céderais bientôt à la vanité et je deviendrais l’esclave des passions. C’est pourquoi je feins d’être sourd ; c’est le seul moyen d’échapper à l’adulation ; mes frères étant convaincus de ma surdité, disent librement de moi le bien ou le mal que je mérite, et comme il me serait pénible d’entendre leurs reproches, je tâche de ne pas les mériter. »
Ami, ne te laisse pas glisser au fond du puits avec la corde de la flatterie, suis plutôt l’exemple de Hatem, fais la sourde oreille et résigne-toi à la critique. C’est fuir le bonheur et renoncer au salut que de détourner la tête lorsque Saadi donne ses sages leçons. S’il te faut un meilleur conseiller que lui, je ne sais en vérité ce que tu deviendras quand il n’y sera plus.
Cette fable est attribuée au poète persan Saadi par le site 1001fables.eu
ABOU-HATEM, surnommé Al-Assam, c’est-à-dire, le sourd, docteur célebre en piété & en doctrine parmi les musulmans, étoit natif de la ville de Balch en Khorosan, où il mourut l’an de l’hégire 237. Il avoit une femme si timide, qu’elle ne pouvoit parler sans rougir. Pour la guérir de ce défaut, il s’avisa de contrefaire le sourd, & de lui faire répéter & à haute voix tout ce qu’elle lui disoit. Cet artifice lui réussit, & le surnom de sourd lui demeura. Il étoit fort pauvre, & un de ses amis lui demandant de quoi il subsistoit, il lui répondit : « Le ciel & la terre ne sont-ils pas les magasins & les trésors de la providence ? mais le malheur est que les hommes, faute de confiance, n’y ont point de recours, & ne comprennent pas ce grand mystere. » D’Herbelot, biblioth. orient.
Le grand dictionnaire historique, éd. de 1759, art. Abou-Hatem,Wikisource, la bibliothèque libre.
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