Une proposition musicale de Anne H.
L’HISTOIRE DU SOLDAT
« Lue, jouée et dansée »
L’Histoire du soldat naquit en 1918, mais, malgré son titre, le sujet n’a rien à voir avec les évènements de cette époque, si ce n’est que la guerre mit aussi bien Ramuz que Stravinski, alors en Suisse, dans une inquiétante situation pécuniaire.
On serait tenté de dire qu’il avait fallu ces circonstances d’une gravité exceptionnelle pour rapprocher deux esprits aussi dissemblables qu’un écrivain régionaliste suisse et un musicien russe. On le dirait si l’on ignorait la genèse de leur amitié, ainsi que les belles pages que Ramuz consacra à ses premières rencontres avec Stravinski, rencontres devant des paysages à la Cézanne autour d’un pain campagnard et d’un Dézalay*. Ramuz en dit avec humour : « … Rien n’est plus facile. J’étais Russe, le sujet serait russe, Stravinski était Vaudois (en ce temps-là), la musique serait vaudoise. »
Cette Histoire du soldat, voici son histoire toute prosaïque. Pour parer à la situation matérielle dont on a parlé, Stravinski et Ramuz eurent l’idée de créer un théâtre ambulant, facilement transportable et ne nécessitant ni un nombreux personnel, ni une grande salle. Les différentes parties de cette suite, par ordre de leur apparition dans l’action telle que nous la connaissons aujourd’hui sont :
Marche du soldat, le Violon du soldat, Musique champêtre, Marche royale, Petit concert, Tango, Valse, Ragtime, Danse du diable, Petit choral, Couplets du diable, Grand choral, Marche triomphale du diable.
C’est dans les contes russes recueillis par Afanassiev qu’ils trouveront l‘émouvante histoire du soldat à qui le diable ravit sont violon. « Bien que ces contes aient un caractère spécifiquement russe, les situations qu’ils dépeignent, les sentiments qui sont exprimés et la morale qui s’en dégage sont d’une nature à tel point humaine et générale qu’ils peuvent se rapporter à toutes les nations. C’est précisément ce côté essentiellement humain qui nous tenta, Ramuz et moi, dans cette singulière histoire du soldat devenant fatalement la proie du diable » (Mémoires de Stravinski).
Humaine et générale – on dirait volontiers universelle – elle l’est, cette étrange Histoire du soldat « des vers français aux consonances vaudoises co-existent pacifiquement avec un tango d’inspiration sud-américaine, une construction mélodique russe, un choral à la Jean-Sébastien Bach, une valse apparentée aux Ländler autrichiens, un Ragtime venu de la Nouvelle-Orléans ».
Pour terminer, une confidence et un souhait. Ayant eu maintes occasions de réaliser L’Histoire du Soldat soit devant un micro, soit dans un théâtre, je l’ai vue et entendue bien des fois. Jamais je ne peux échapper à l’émotion qui s’empare de moi lorsque, vers la fin de la Marche triomphale, les instruments se taisent l’un après l’autre, ne laissant que la batterie seule, pareils à un mécanisme tragique dont le ressort se détend.
Puis-je souhaiter que vous ressentiez la même émotion ?
Bronislaw Horowicz.
Nous donnons ici, sur la proposition de Anne H. – nous l’en remercions chaleureusement –, ce mimodrame, ‘lu, joué et chanté’ – ce qui donne envie de le faire en l’écoutant ! – dans l’adaptation de Bronislaw Horowicz, enregistré par Philips pour le disque (deux faces de 33 tours/min.), en 1965. La notice, présentée ci-dessus, est d’Horowicz, les illustrations (extraites de la pochette) sont dues à Théophane Matsoukis, s’inspirant des décors qu’il avait créés pour la représentation scénique de cette même adaptation, au Théâtre municipal de Strasbourg, le 3 avril 1965 (à noter qu’au même programme, on trouvait un opéra de Boris Vian sur une musique de Darius Milhaud, ‘Fiesta’**). L’intérêt tout particulier de cet enregistrement, malgré sa qualité technique toute relative due à l’usure du disque original – qu’on nous en excuse –, est d’être dirigé par le compositeur lui-même, Igor Stravinski. On trouvera, parmi beaucoup d’autres, une information détaillée sur l’œuvre dans cet article de Wikipédia, une intéressante étude sur la genèse de l’œuvre due à l’Équipe Musicale de France, ainsi qu’un important et détaillé Cahier pédagogique réalisé par le Théâtre de Liège. [VS]
* Il convient d’orthographier ‘Dézaley’ ; ce grand cru du terroir vaudois mérite qu’on respecte son nom. Écriveriez-vous ‘Champègne’ ?
** J’eus aimé faire un billet sur cet opéra en un acte, opéra de poche, comme on dit, commande du grand Hermann Scherchen, de Berlin, à Darius Milhaud – qui le lui a dédicacé –, qui lui-même passa commande du livret à Boris Vian, sur la base de l’argument d’un ballet déjà donné en Allemagne ; malheureusement, il n’en est guère de trace musicographique – le texte de Vian, lui, est publié – et je m’étonne des incohérences de l’information à ce sujet : on donne la représentation d’avril 1965 (parfois avec une date imprécise) à Strasbourg comme une ‘séance spéciale’ (voir Wikipédia, la notice de notoriété de la BnF et certaines critiques), voire même comme manifestation à l’occasion du 80e anniversaire de Darius Marius. Celui-ci étant né en 1892, c’est bien la création, dite française, à Nice, en 1972, qui en est l’occasion. La création allemande, mondiale et originelle, elle, date de 1958. Cet évènement strasbourgeois de 1965 demeure quant à lui quelque peu obscur.
DISTRIBUTION
Compositeur : IGOR STRAVINSKI
Auteur : C.F. RAMUZ
Adaptation : BRONISLAW HOROWICZ
Direction : IGOR STRAVINSKI
Robert Manuel, Sociétaire de la Comédie Française
Le diable
Jean Davy, Sociétaire de la Comédie Française
1er récitant
François Vibert, de la Comédie Française
2ème récitant
Jacques Tojat, de la Comédie Française
Le soldat
France Descaut
La princesse
Paul Barre
Le tambour
Ensemble instrumental :
David Oppenheim, clarinette
Lauren Glickman, basson
Robert Nagel, trompette
Erwin Price, trombone
Alfred Howrd, percussion
Alexandre Schneider, violon
Julius Lévine, contrebasse