Il y eut le phylloxéra, la « peste » américaine, qui affecta l’ensemble du vignoble français au début du 20e siècle et engendra misère et révoltes. Depuis trois ou quatre décennies nous connaissons une nouvelle pandémie d’origine états-unienne, la prolifération anarchique de « tiques » en tous genres, toutes filles de la « folie » technicienne : cybernétique, logistique, informatique, télématique, robotique, bureautique…, plus récemment, domotique, connectique, manutique, mercatique… et, ce matin même, j’ai croisé une « unité » mobile de formation à la… préventique.
Toutes « sciences » qui n’en sont pas, à peine des savoir-faire théorisés – en quête de « niches » à occuper et de « segments » de marché à prendre – mais qui font qu’une « femme de ménage » devient une « technicienne de surface » et que le moindre emploi dans une organisation humanitaire exige un « mastère » ad hoc.
Ce tout-pouvoir de la société technicienne, analysé depuis longtemps par Jacques Ellul, nous amène cependant à nous poser une question « épistémologique », comme nous disions dans les milieux althussériens de la fin des années soixante, et reprise aujourd’hui par des philosophes, sociologues et anthropologues qui s’intéressent aux glissements sémantiques : si les mots changent, c’est que les réalités ont changé – et les concepts aussi, en retour.
À preuve la belle conférence conclusive, « Anthropos aujourd’hui », donnée par Paul Rabinow, professeur d’anthropologie à Berkeley, bénéficiaire d’une « Chaire Blaise Pascal », attribuée par l’École Normale Supérieure (« Normale Sup »), diffusée sur Internet par TéléSavoirs. Il y évoque notamment, ainsi que d’autres chercheurs invités, le passage d’une époque dominée par le logos à une nouvelle placée, elle, sous le signe de la teckné. À suivre absolument. [Malheureusement, désormais cette diffusion ne semble plus accessible mais le texte de la conférence est consultable ICI (29/05/2023)].
Toujours est-il que je m’interroge quant à savoir si à ne plus pouvoir « penser sur », je serai désormais contraint uniquement de « faire avec »… et si, fantaisie pour fantaisie, je ne devrai pas définitivement abandonner ma traditionnelle culture (latine) de l’art (et du logos) amoureux pour une (pure) compétence technique, impliquant « expertise » reconnue ès « erotics », dûment agréée par Bruxelles, et m’autorisant fonctionnellement à faire « tac-tac », … à l’américaine.
Finie la « logologie », vive la « technotique » !