Le plus admirable dans Montaigne, c’est qu’il ne se hâte pas. Il manipule doucement les émotions et les pensées les plus impatientes. L’intérêt qu’il porte à lui-même est inébranlable. Il n’a jamais vraiment honte de son personnage. Il n’est pas chrétien. Tout ce qu’il observe lui paraît important, mais, au fond, il est soi-même sa propre et inépuisable source d’observation. De ne pas se quitter lui donne une sorte de liberté. Il devient, se possédant toujours, un objet qu’il ne peut jamais perdre. Cette existence unique qu’il surveille sans cesse, s’écoule aussi lentement que sa contemplation.
Elias Canetti, Le Territoire de l’homme, Réflexions 1942-1972 [année 1960], Albin Michel, traduction de l’allemand de Armel Guerne.