LA RÉSIDENCE SUR LA TERRE [PABLO NERUDA]

Voici quelques huit années, et quelques mois de surcroît, à l’origine du site voisin, qui enfanta du présent blogue, je donnais ce très beau poème de Neruda. Aujourd’hui, toujours voisin de ‘la résidence sur la terre’ qu’occupa ici, en tant qu’ambassadeur de son pays, le poète, il me plaît de le redonner dans ces pages. J’aimerais y associer un autre texte, en prose, qui me semble en être le pendant, d’un autre écrivain et poète, anglais, celui-là…, mais ce sera pour demain. Et je dédie cordialement tout ‘cela’ à une amie qui aimera à les lire. 

UN JEUNE HOMME SEUL

[…]

Les jeunes homosexuels et les jeunes filles amoureuses,
 et les longues veuves qui souffrent d’insomnies délirantes,
 et les jeunes dames fécondées il y a trente heures,
 et les chats rauques qui traversent mon jardin de ténèbres,
 tel un collier de palpitantes huîtres sexuelles
 entourent ma résidence solitaire,
 tels des ennemis établis contre mon âme,
 tels des conspirateurs en tenue de nuit
 qui auraient pour consigne d’échanger de longs baisers épais.

Le radieux été conduit les amoureux
 en d’uniformes régiments mélancoliques,
 composés de gros et maigres et joyeux et tristes couples :
 sous les élégants cocotiers, près de l’océan et de la lune,
 il y a une vie constante de pantalons et de jupes,
 une rumeur de bas de soie caressés,
 et des seins féminins qui brillent comme des yeux.

Le petit employé, après un lourd,
 après un long ennui hebdomadaire, et les romans lus la nuit au lit
 a définitivement séduit sa voisine,
 et l’emmène dans les misérables cinémas
 où les héros sont des poulains et des princesses passionnées,
 et il caresse ses jambes pleines de duvet
 avec ses mains humides, ardentes et qui sentent la cigarette.

Les soirées du séducteur et les nuits des époux
 se fondent comme deux draps qui m’ensevelissent,
 et les heures après le déjeuner où les jeunes étudiants
 et les jeunes étudiantes, et les prêtres se masturbent,
 et les animaux forniquent sans détours,
 et les abeilles sentent le sang, et les mouches colériques bourdonnent,
 et les cousins jouent étrangement avec leurs cousines,
 et les médecins regardent avec fureur le mari de leur jeune patiente,
 et les heures du matin où le professeur, comme par mégarde,
 accomplit son devoir conjugal et déjeune,
 et plus encore, les adultères, qui s’aiment d’un véritable amour
 sur des lits hauts et longs comme des navires :
 sûrement, éternellement m’entoure
 cette grande forêt respiratoire et enchevêtrée
 de grandes fleurs comme des bouches et des dentitions
 et de noires racines en forme d’ongles et de chaussures.

[…]

Pablo Neruda, Un jeune homme seul, extrait de La résidence sur la terre, traduit de l’espagnol (Chili) par Guy Suarès, Éditions Gallimard, Paris.

Illustration (détail) : Diego Rivera, Sueño de una tarde dominical en la Alameda Central, Museo Mural Diego Rivera, Mexico.

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