LA VOIE/X DU SILENCE [ISLAM MYSTIQUE]

Dans un ‘vieux’ livre, publié en 1936, dont le propos était d’offrir au lecteur des clés pour ouvrir à la compréhension de la toute nouvelle, et novatrice, alors, traduction des Mille et une Nuits du docteur Mardrus et, plus généralement, de l’œuvre de celui qu’il nomme l’Enchanteur Mardrus, l’auteur, Émile-François Julia, aborde et illustre dans un chapitre final la conception de l’Islam mystique qui est consubstantielle à l’Islam lui-même, comme la mystique l’est à nombre de religions, d’ailleurs.

Il est une vertu mystique, c’est celle du Silence, miroir de l’Intériorité — maints de nos ordres chrétiens en ont, par exemple, fait une de leurs règles fondamentales. Mais laissons l’utile et éclairante parole à celui qui écrit :

… ces peuples dont les moindres mouvements s’extériorisent avec une fougue véhémente, et peut-être à cause de cette exotérie effrénée, ont aussi un regard intérieur très exercé et se prennent facilement à songer aux choses secrètes dont nos populations ont perdu presque complètement le sens. Bien qu’elle ne sache en réalité la cause de rien, la science moderne entretient dans notre esprit public, la fallacieuse assurance de la connaissance des choses. Aussi, de nos jours, on comprendra malaisément ce petit dialogue : ‘Ô mon père, demande un simple Musulman, apprends-moi à connaître les vérités cachées et le mystère des choses !’ Mais Basschra le Déchaussé répondit : ‘Ô mon fils, ces choses ne sont point faites pour le troupeau. Car c’est à peine si sur cent justes il y en a cinq qui soient comme le vierge argent !’ Proportion qui n’est déjà pas si négligeable !

Toutes ces qualités réunies font naître, dans une nation des êtres d’exception capables de s’élancer vers les hautes régions de la richesse intérieure par transmutation des sentiments ordinaires en pur amour. L’état religieux de l’âme s’affranchit de toute théologie dogmatique ; le formalisme apparaît comme une limite, un amoindrissement et une oppression. Dans l’Histoire de la Jouvencelle Chef-d’œuvre des cœurs, la jeune fille inspirée, interprétant le langage des oiseaux, exprime ainsi le Chant du Faucon :

Je suis fidèle aux règles du silence. La discrétion de ma langue est mon seul mérite, peut-être, et l’observation de mes devoirs, ma perfection

Emmené par les hommes en captivité, je reste réservé et jamais ne découvre le fond de ma pensée…

Aussi mon maître finit-il par m’aimer, et, craignant que ma froideur et ma réserve ne m’attirent de la haine, il couvre ma vue avec le chaperon selon les ordres du Korân : ‘N’étends point la vue !’

Il enlace ma langue sur mon bec, avec le lien qu’ont en vue ces paroles du Korân : ‘Ne remue point la langue… !’ 

Il me serre enfin avec les entraves désignées par ce verset du Korân : ‘Ne marche pas sur la terre avec pétulance !’ 

Je souffre d’être ainsi lié, mais, toujours silencieux, je ne me plains point des maux que j’endure.

Grave confession ! N’est-ce pas un semblable maître de liberté intérieure qui a chuchoté tout bas à l’oreille du noble Alfred de Vigny son vers initiatique :

Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.

De plus, ce pas hors du conformisme religieux, ce passage du clos à l’ouvert, selon l’expression bergsonienne, n’est-il pas la première évasion de tout esprit en marche sur la route de la perfection mystique, car, pour celui-ci, l’acte spirituel compte seul.

[…]

Extrait de Émile-François Julia, Les Mille et une Nuits et l’Enchanteur Mardrus, Société Française d’Éditions Littéraires et Techniques, coll. Les Grands Événements Littéraires, Paris, 1936.

 À Qui se Tait et (ne) Sait. Avec sentiment.

Illustration : photo extraite du blog assalamalaykoum – injoignable – : l’auteur et son faucon.

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