Aphrodite, période hellénistique
Musée national d’Athènes
On aura vu aussi ces femmes — en rêve ou non,
mais toujours aussi dans les enclos de la nuit —
sous leurs crinières de juments, fougueuses,
avec de longs yeux tendres à lustre de cuir,
non pas la viande offerte à ces nouveaux étals de toile,
bon marché, quotidienne, à bâfrer seul entre deux draps,
mais l’animale sœur qui se dérobe et se devine,
encore moins distincte de ses boucles, de ses dentelles
que l’onduleuse vague ne l’est de l’écume,
le fauve souple dont tous sont chasseurs
et que le mieux armé n’atteint jamais
parce qu’elle est cachée plus profond dans son propre corps
qu’il ne peut pénétrer — rugirait-il d’un prétendu triomphe —,
parce qu’elle est seulement comme le seuil
de son propre jardin, ou une faille dans la nuit
incapable d’en ébranler le mur, ou un piège
à saveur de fruit ruisselant, un fruit,
mais qui aurait un regard — et des larmes.
Philippe Jaccottet, Autres chants, Chant d’en-bas, Éditions Gallimard, Paris, 1977.
Sniffff!
Oh Vincent ! ce poème est magnifique; il me touche beaucoup et en même temps, me donne envie de fuir un rêve qui m’emprisonne, me rend plus fugueuse que fougueuse,plus fauvette en envol que fauve.
En même temps je me dis que ce poème, c’est cela justement, qu’il cherche à engendrer : la fuite féminine, afin que l’inaccessibilité soit sauvegardée à l’arrière-plan de la nostalgie immédiate et poignante des larmes. Mais quelle beauté, vraiment ! Merci pour cette découverte.