LETTRE [LUCIAN BLAGA]

LUCIAN BLAGA

Peut-être même maintenant
Ne t’écrirais-je pas ces lignes
Mais des coqs ont chanté par trois fois dans la nuit
J’ai dû alors crier :
Mon Dieu, mon Dieu, qui donc ai-je renié ?

Mère, je suis plus vieux que toi,
Mais je suis toujours tel que tu me connais :
Les épaules un peu voûtées
Et penché sur les interrogations du monde.

Je ne sais même aujourd’hui
Pourquoi m’as-tu livré à la lumière.
N’est-ce que pour marcher parmi les noms
Et arbitrer entre eux en prononçant
lequel est le plus vrai, lequel est le plus beau ?
Ma main s’arrête : c’est trop vain.
Mère, pourquoi m’as-tu livré à la lumière,
Pourquoi m’as-tu livré ?

Mon corps tombe à tes pieds
Lourdement, comme un oiseau mort.

Lucian Blaga, Au fil du grand parcours, traduit du roumain par Philippe Loubière, Editurii Paralela 45, Bucarest, 2003.

 

Transcrivant cela, ci-dessus, il me revient, je ne sais trop pourquoi – mais si ! – ceci : 

Oui, ce n’est pas toujours sagesse de dire
que les muses se taisent dans le fracas des armes.
Voici mes mots et je les serre
comme on serre une lance.
Maman, pardonne-moi, je ne pouvais faire autrement.
Je sais, tu t’es tue toute ta vie
et peut-être ainsi devrais-je faire aussi,
mais il fallait un jour que de notre silence
jaillisse un cri
et le voici, il m’emplit la bouche d’espoir et de larmes
et d’une tristesse ensoleillée
qui est mienne, je ne sais plus,
à moi ou à ma tombe. Mais
cela n’a plus guère
d’importance.

Octavian Paler, Histoires simples, traduit du roumain par VincentSteven et Ivona Panaït, inédit, tous droits réservés.

À I. P. pour tout le plaisir, et la difficulté, qu’il en est… Et à toutes ces images, récurrentes.

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