Qui aura jamais lu ces pages saura mon attachement à Paul Cézanne, à ce que sa peinture, pour moi, fait sens et, étonnamment, m’énervant de rien trouver à dire en quelque page – énervement de l’écrivant – je tombe, le mot est juste, sur cette parole de cet autre – ô combien cher, au même titre que Cézanne –, Elias Canetti, justement à propos de ce même Cézanne.
Parole que, pourtant fréquentant ce livre depuis des années, il me semble n’avoir jamais lue. Référence donc aussi à ce Zola dont la première page de L’Œuvre* de Zola blessa tant Cézanne et aboli définitivement leur amitié d’enfance.
Je suis bouleversé d’apprendre tous les malheurs qu’eurent à souffrir les peintres « modernes » d’il y a cent ans. Je suis bouleversé par l’innocence de Cézanne, qui se vit exposé à toutes les humiliations, et même à la pire de toutes que lui infligea son ami d’enfance en lui prescrivant, dans un ouvrage spécifique, le suicide.
Il est vrai que chacun a eu des amis de jeunesse qu’il tient pour des ratés, qu’il répudie après leur avoir donné beaucoup de sa vie, dont il n’attend plus rien, qu’il enfonce encore plus pour se racheter peut-être à ses propres yeux de tout ce qu’il attendit autrefois, qu’il rabaisse et insulte comme s’ils risquaient de l’agripper en un point quelconque de lui-même pour l’entraîner dans leur chute.
Les premières toiles de Cézanne que Zola enferme chez lui et refuse de montrer, comme une tare cachée, parce qu’il a cru autrefois à leur auteur.
Sont-ce les éternels doutes de Cézanne qui l’ont finalement lassé ? L’avait-il trop souvent et trop longuement exhorté ? Ou celui-ci n’avait-il été finalement que son jumeau, son compagnon de jeux, son copain ?
Il est étonnant de voir à quel point Zola trouva son épanouissement à Paris, pendant que Cézanne s’identifiait à son paysage d’origine qu’il a entièrement redéfini.
Élias Canetti, Le cœur secret de l’horloge, Réflexions (1973-1985). Traduit de l’allemand par Walter Weideli. Albin Michel, Paris, 1989
Paul Cézanne, Portrait de l’artiste, vers 1873-1876. Huile sur toile, 64 x 53 cm, détail, Venturi 288. Paris, Musée d’Orsay
Paru initialement dans la page ‘Plurielles’ de ‘Sous le clavier… la page’, en février 2009. Légèrement remanié pour cette réédition. On trouvera dans les pages des différents blogues associés ici maints billets consacrés à Paul Cézanne et Elias Canetti.
* L’Œuvre d’Émile Zola en édition numérique [PDF] est téléchargeable gratuitement sur le site de la Bibliothèque électronique du Québec | BeQ.