Monsieur Moije m’entretient d’une question personnelle. Brièvement, il m’en expose le motif et, tout de go, sollicite ma réaction. Éloigné de son point de vue, j’ose un prudente objection que, derechef et abruptement, Monsieur Moije interrompt, sans même en entendre davantage. « Moi, je vous le répète, dit-il sèchement, ce n’est pas de vous qu’il s’agit, mais de Moi ! »
« C’est de MOI qu’il s’agit ! » Voilà bien monsieur Moije tel je que le retrouve.
Comme je retrouve aussi sa propension à débuter toutes ses phrases et ses propos par un « Moi, je… » péremptoire qui le place d’emblée au cœur de l’univers, d’un univers unique, le sien, d’où l’autre, sans autre attention de sa part, est délibérément exclu.
Monsieur Moije n’a d’autre centre d’intérêt que lui-même et ne vous interpelle que pour s’entendre confirmer sa propre opinion. Vous n’existez qu’à cette fin.
Quant aux prémisses de la conversation qui, et pour cause, se condamne à l’embryonnaire, monsieur Moije ne les connaît que parfaitement circonscrits, inquestionnables et définis à jamais pour son usage exclusif. Par là même tout vrai débat lui est étranger ; ce qui échappe, lui échappe, est à ses yeux si éminemment déplacé que cela doit être radicalement rejeté, banni. Confronté à l’objection ou à des considérations qui voudraient élargir le propos, il vous coupe vertement
la parole par un :« Là n’est pas la question et sachez qu’en outre, Moi, je ne m’y intéresse absolument pas à cette question ; j’ai plus urgent et mieux à faire, Moi, qu’à perdre mon temps à de telles calembredaines. Et, ajoute-t-il, libre à vous de vous obstiner à ressasser de pareilles inepties. Moi, je vous le clame, cela vous ressemble comme vous ressemble ce détestable besoin, en toute circonstance, de me chercher noise, à Moi, dès que j’entreprends de parler de Moi. Je ne vous ai rien demandé, Moi ! »
[Ah, celui-là !]