« Va donc, pef, mînteu, doleu ! », rétorquait ma grand-mère quand nous lui inventions quelque calembredaine pour tenter d’excuser nos frasques de gamins. Mais qu’étaient donc ces « pef », « mînteu », « doleu » ? Des qualificatifs acollés à une maigre figure locale, haute en couleur certes – un « original » comme il en est tant dans les campagnes – mais dont la mémoire n’a guère survécu à celles et ceux qui l’avaient connu. En définitive, ce sont là des synonymes : « Doleu », un patronyme devenu ici nom commun, assimilé au surnom de « Pef », manifestant ainsi son caractère de « mînteu », menteur, au sens plaisant de faiseur de galéjades. Y croyait-t-il ? Cultivait-il quelque douce mythomanie ? Je ne sais et ne me prononcerai pas.
Le Pef donc et quelques comparses se réunissaient ordinairement la journée terminée dans la cave du négoce « en vins, alcools et spiritueux » – c’était aux alentours de la Première Guerre mondiale – autour de Clément, mon grand-oncle, caviste – l’un des trois frères associés qui se partageaient les responsabilités de l’entreprise familiale. C’est là, vers les six heures du soir, que cette confrérie juchée sur des tabourets de fortune, chacun dépositaire de son ordinaire quart de fer-blanc, engorgeait à satiété, en devisant, le vin tiré à même le tonneau.
La petite assemblée se tournait toujours et irrésistiblement vers le Pef, l’asticotant pour l’entendre narrer une nouvelle fois ses tribulations de par le vaste monde. Cela commençait par une escapade de jeunesse où il était allé, selon son expression, « moissonner les champs de spaghetti en Italie » et se poursuivait par ses souvenirs d’Afrique dans l’infanterie coloniale. Aussi ne se lassait-on pas de l’évocation de son passage sous l’équateur : « sur une planche, en baissant bien la tête », comme il l’affirmait avec conviction. C’est d’ailleurs en cette circonstance qu’il avait vu, alors qu’il courbait l’échine sous la ligne fatidique, sa « gamelle, accrochée sur le dessus du barda, fondre sous le soleil de plomb ». Et chacun de rire et le Pef de ne pas broncher.
Tout porté sur le « picrate » qu’il était, le Doleu eut une mort qui lui ressemblait. Un petit matin d’été, au retour titubant de la fête à Aizy, village voisin, redescendu vers le bourg par la Vieille-Route, puis par le raccourci de la Fontaine-des-Moines – où ladite fontaine alimentait un maigre ruisselet s’écoulant vers les Jardinets en aval –, mon père, alors âgé d’une douzaine d’années, qui se rendait dès matines au potager que ses parents cultivaient là, le découvrit mort, noyé dans le fossé, le nez planté dans un filet d’eau. Ultime et pittoresque (més)aventure.
J’ajouterai en guise d’illustration, la photographie d’un robinet artisanal en cuivre massif avec incrustation d’ivoire. Celui que mon grand-père, vigneron et tonnelier, utilisait pour son tonneau personnel, celui du propriétaire et maître de chai. Longueur : 30 cm. Poids : 2 kg.
À Luc et Jean-Pierre à qui « cela » dira probablement quelque chose.
De la même veine locale, on trouvera par ailleurs une autre texte, ☞ANGÉLIQUE [GÉRARD DE NERVAL]