Regardez-le, écoutez-le ronfler, il rêve, il rêve qu’il part en voyage, rêve que tout va bien, qu’il a un coin, mais l’aiguille du réveil rencontre celle du train et l’homme levé plonge la tête dans cuvette glacée si c’est l’hiver, fétide si c’est l’été.
Regardez-le se dépêcher, boire son café-crème, entrer à l’usine, travailler, mais il n’est pas encore réveillé, le réveil n’a pas sonné assez fort, le café n’était pas assez fort, il rêve qu’il est en voyage, rêve qu’il a un coin, se penche par la portière et tombe dans le jardin, tombe dans le cimetière, se réveille et crie comme une bête, deux doigts lui manquent, la machine l’a mordu, il n’était pas là pour rêver et, comme vous pensez, ça devait arriver.
Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France, extrait, Jacques Prévert, Paroles, 1946.
Le dîner de têtes
Publié initialement dans les pages ‘Humeurs du jour / Climats…’ du site sous le clavier, la page, le 2 janvier 2009.
Photo : Jacques Prévert vu par jacques Doisneau, détail.