AUTOMNE
[passant(s) par là]
l’un tourne les talons
l’autre prudent
chasse les feuilles
[premier salut au cerisier]
feuille après feuille
le vent te déplume
maigre cerisier
[deuxième salut au cerisier]
maigre cerisier
tes trente-trois feuilles
ne sont déjà plus que trente-deux
[troisième salut au cerisier]
ultime feuille du cerisier
tu résistes à la nuit
au matin te compterai-je encore ?
[quatrième salut au cerisier]
que dis-tu maigre cerisier
quand le pic épeiche
t’épouille ?
[adresse au frêne]
grand frêne
tu fais voltiger le geai
mais c’est pour tes graines
[rêvée et entrevue]
fenêtre japonaise
si le toit d’en face
voulait bien être cornu
HIVER
[dans l’air glacé]
il se contorsionne
ah ! sous la bise
qu’il fait froid !
[rêveusement]
la vitre embuée
du bout du doigt
la trace de l’hiver
[désespérément]
l’après-midi gris et mouillé
la bougie ne l’illumine pas
elle le laisse à lui-même
[tardivement]
le soleil s’efface
tiédeur de la lampe
préséance de la nuit
[désespérément encore]
vaine flamme
tourmentée par la turbulente chaleur
tu oses ta lumière
[désincarné]
découpe sombre
sur le miroir du palier
présence de mon ombre
[nostalgique]
sonne le téléphone
une voix oubliée
tendre souvenir
[bêtement]
coucou le chat
je te vois par ici
je te vois par là
PRINTEMPS
[illusion]
tournée vers la nuée
ramure qui s’expose
ou toiture qui s’impose ?
[premier merle]
le merle m’éveille
heureuse l’aube
qui illumine son œil
[deuxième merle]
merle au bec jaune
tu t’affaires
j’envie ton impatience
[troisième merle]
dis, merle
quand tu retournes la vieille feuille
espères-tu trouver fortune ?
[quatrième merle]
merle
ailleurs j’ai vu ton frère
c’était toi tout craché
[matin d’avril]
ramant puissamment
le héron rejoint le marais
matin de printemps
[flamande]
juché sur une patte
indifférent au miroir de l’eau
le héron attend
[court instant]
parfum rouge de tulipe
un moineau
accroché à la tige
[verticale]
canard fuselé
à la verticale de mon regard
tu couines
[nocturne]
le chant du coucou
est rare
la nuit en témoigne
[frère frêne]
jour du printemps
qu’attends-tu
grand frêne ?
[assez !]
roucoulant pigeon
tu auras ta marmaille
j’ai tes étrons
[tunisienne]
au printemps déjà
tes feuilles sont promesse
noueux figuier
[beaux chats, autre tunisienne]
aux créneaux
six têtes aiguisées
puis rien
[ostendaise]
le vent
à l’heure de la marée
les goélands affairés
[fragile moment]
la mer étale
instant de silence
le soleil s’expose
ÉTÉ
[moi]
tourné vers le zénith
apaisé
et jambes croisées
[autre fragile moment]
vibration du feuillage
miroitement en interstice
le vent en appelle
[provençale]
fragrance du thym
cuisante chaleur
fin civet ou brûlant été ?
[voyage à Reims, à la mémoire de R.L.]
sourire sous un portail
touriste pressé
et si l’on parlait de l’ange
[le tao de Maamoura]
minaret
si tu n’ouvres pas la voie
au moins montres-tu le ciel !
[hispanique]
passé l’angle de la rue
d’un trait long
l’ombre se retranche
[du Père Castor]
le garenne se dresse
frémissant d’inquiétude
un instant le vent doute
CODICILLE
[le Tombeau de Paul Éluard]
le bananier
est bien pauvre de feuilles
le vent l’ignore
à la mémoire
du Vieux Maître au Bananier,
« sur la lande flétrie »
espérant l’accompagner encore…
et, cheminant,
qu’aux petits cailloux
piquant le chemin
nos semelles s’appliquent.
ouille !
VS [1995–2002]
Ces petites pièces, quelconques — d’autres s’y adjoindront quelque jour — conservent des haïkus le classement par saison, en commençant par l’automne, car c’est lui qui dans sa décroissance annonce le mieux la renaissance printanière.
Illustration : Matsuo Bashō
Publié initialement dans les pages ‘Poètes, nos papiers’, du site sous le clavier, la page, en 2003.