Imaginez-vous assis.e devant votre piano et en jouer, sans en démordre, pendant quelque vingt-quatre heures. C’est le ‘challenge’ que propose Erik Satie : une variation sur une seule page qui peut durer autant. Un pianiste l’a expérimenté ici durant soixante neuf minutes et quarante secondes, pour votre plaisir… ou votre indicible fatigue – vous écouterez ce que bon vous semble. Et vous trouverez également LÀ des répères quant aux multiples perfomances auxquelles cette œuvre a donnée occasion.
Je reprends cependant ce que Alan Marks en dit dans le livret qui accompagne son enregistrement, qui date de 1990 :
Vexations d’Érik Satie est une œuvre aux proportions étranges. Elle consiste en une seule page de musique, de trois lignes seulement, et elle est calculée pour durer au total une journée et une nuit entières.
Avant de considérer la musique, voici les instructions du compositeur qui accompagnent la partition :
Pour se jouer 840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses.
Le thème unique de la pièce est joué à la basse. Il consiste en dix-huit notes, sur treize temps, sans indication de mesure, et utilise tous les tons sauf la bémol/sol dièse. Il évolue autour du do, sans établir d’harmonie identifiable.
Le thème est ensuite répété avec deux voix ajoutée au-dessus. Ces voix jouent en parallèle, espacées d’un triton (l’intervalle qui divise l’octave en deux, le seul qui ne soit ni ‘consonant’ ni ‘dissonant’, une irritation statique).
Le thème est répété seul et est ensuite joué encore avec le renversement des deux voix additionnelles précédentes : le renversement d’un triton, étant encore un triton, intensifie statique et irritation.
Ce qui vient d’être décrit équivaut à une répétition.
Le tempo est très lent.
Erik Satie Vexations
Joué suivant les instructions, Vexations remplirait vingt-et-un disque compacts. Ce disque comprend quarante répétitions : ce n’est qu’une simple introduction.
John Cage organisa la première mondiale de Vexations en septembre 1963 à New York : un groupe de pianistes exécuta l’œuvre en dix-huit heures quarante minutes. Elle a depuis été jouée dans diverses capitales musicales, mais jamais par une seule personne. Beaucoup d’exécutions ont pris vingt-quatre heures complètes.
Vexations crée un espace hors temps. C’est une méditation, une mantra et une hallucination créées par répétition incessante – prévisible mais surprenante, tel un sphinx, curieusement et agréablement asymétrique. C’est une perpétuelle question qui se répond avec sa propre question, une perpétuelle réponse qui se questionne avec sa propre réponse. Cyclique, ’sisyphienne’, ruban de Moebius musical, langage complet, achèvement qui demeure non résolu. Ses dimensions s’allongent de manière exponentielle, et semblent tendre vers l’infini.
Il n’y a pas d’instructions pour l’auditeur.
Alan Marks.
Traduction DECCA 1990.
Enregistré à la Villa Siemens, Berlin, en septembre 1987.
De E. S., par procuration, à A. H. …, jusqu’à épuisement. [VS]
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