SOLITUDE [ÁRON KIBÉDI-VARGA]

ARON KIBEDI-VARGA

Combien heureux les gens
Qui parlent au pluriel toujours :
« Nous autres chez nous et nous autres de la fabrique,
Nous autres Hollandais Français Britanniques »
Comme c’est bon : « nous », et non ce triste « moi » !
Mais je parle tout seul
De moi-même et de l’infini
Que ce soit en hongrois
Ou bien dans le langage du monde,
À moi-même j’attache le moindre mot
Et las je crache les langues amères.
Heureux pluriel !
Heureux ceux qui sont liés
Dans le réseau gentil
Des paroles, des sourires et des bonnes manières !
Mais quelqu’un m’enferme en moi-même.
Mon discours s’adresse à la mort
Les heures muettes traversent mon âme
Et j’attends avec une sainte patience le jour
Où la solitude des mots fera
Éclater soudain mon corps,
Où je serai pressé mort silencieux
Par la multitude souriante.

Áron Kibédi-Varga, ‘Solitude’, traduction du hongrois de Georges-Emmanuel Clancier, in ‘Anthologie de la Poésie hongroise du XIIe siècle à nos jours’, Éditions du Seuil, 1962.

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