SI C’ÉTAIT LA LUMIÈRE [PHILIPPE JACCOTTET]
Si c’était la lumière qui tenait la plume,
l’air même qui respirait dans les mots,
cela vaudrait mieux.
Si c’était la lumière qui tenait la plume,
l’air même qui respirait dans les mots,
cela vaudrait mieux.
Dis encore cela patiemment, plus patiemment
ou avec fureur, mais dis encore,
en défi aux bourreaux, dis cela, essaie,
sous l’étrivière du temps.
Dans la nuit me sont revenues, avec une intensité pareille à celle que produit la fièvre, d’autres images de promenade…
Comment dire cela ?
On a touché à quelque chose de si froid que toute l’année en est atteinte, même au cœur de l’été.
Parler de glacier serait beaucoup trop beau. Même parler de pierre enjoliverait cela.
Ah ! le monde est trop beau pour ce sang mal enveloppé
qui toujours cherche en l’homme le moment de s’échapper !
Qu’est-ce que le regard ?
Un dard plus aigu que la langue
la course d’un excès à l’autre
du plus profond au plus lointain
du plus sombre au plus pur
un rapace
« Voilà. » Voilà ce qui tient inexplicablement debout, contre les pires tempêtes, contre l’aspiration du vide ; voilà ce qui mérite, définitivement, d’être aimé : la tendre colonne de feu qui nous conduit, même dans le désert qui semble n’avoir ni limites, ni fin.
Du livre, ce jour tôt venu, de celui qui écrit, et réécrit, qui l’avait déjà dit et le redit. Obstinément. De bribe en bribe. Par-delà. Philippe Jaccottet. Et ainsi donc invite à lire. Et à relire. Écrit inséparable de l’homme. Son œil, et sa peau, à la fois.