Il y a quelque temps déjà, attablé face à une femme amie que j’entretenais de certaines choses relatives à mon activité, j’observais son visage, sa bouche, ses yeux, son front, et remarquais qu’en écho à mes propos, à dire vrai incertains et inquiets, les siens, péremptoires et justes aussi — trop justes peut-être —, sertissaient une certitude de soi que contestaient dans le même temps maints petits plissements mouvants des lèvres, des commissures de la bouche, deux petites verticales venant s’achopper au haut du nez et s’abuter à la base du front. Le souci d’être « juste », juste vis-à-vis de l’idée même de justesse, de justesse de soi-même, se fracturait à l’évidence, écartelé entre le moment de sa parole et le moment de mon observation, au point que je me voyais confronté à deux interlocutrices et ne savais à laquelle me fier.
Dans l’instant, j’acquiesçai à l’évidente « justesse » de son propos, à la hauteur de vue de son analyse — c’était là le résultat de son art — qui, et c’était probablement également sa préoccupation, de manière charmante d’ailleurs, me laissaient nu et sans ressource. Certes, elle avait une revanche à prendre et se vengeait élégamment, et atrocement, avec un aimable sourire ou plutôt ce joli rictus qui en tenait lieu.
Aujourd’hui, me remémorant ces circonstances, je perçois que du regard de cette femme, au demeurant agréable, s’exhalait une misère indéfinissable, une misère — et une souffrance — d’elle-même, qu’orgueilleuse, elle ne s’avouait probablement pas, et persiste en moi l’image de ce visage qui, démentant l’apparence, dans ses contorsions, était si tendu vers l’intérieur qu’il semblait condamné à ne jamais s’ouvrir.
Daté des 15/10/ 2000 et 26/10/2003. Publié initialement sur le site sous le clavier, la page.