VESTIGE [ARTURO PÉREZ]

VESTIGE | ARTURO PEREZ

De l’évidence du texte

Diamant de ma langue
 tu es
 scintillant dans le lointain

 

Peu de temps avant son retour-exil, son exil-retour, au Chili, Arturo avait souhaité mettre en mémoire, à toutes fins utiles, quelques textes poétiques écrits pour l’essentiel en français. Ainsi sont-ils restés, à toute fin utile, sur une disquette informatique.

Aujourd’hui, puisqu’utilité il y a, j’ai proposé à Jorge et à Tarek de rendre à ces paroles leur liberté, de les remettre à l’air libre. Geste anodin ? Je ne crois pas ! Il y a là le témoignage d‘un temps intensément vécu, d’un travail d’écriture, d’un formidable travail, puisque pour l’essentiel, il ne s’agissait rien moins que de réaliser une œuvre, qui pour être parfaitement maîtrisée, n’était pas pour autant écrite dans la langue-mère.

Ce “vestige” donc, écrit en français — sous réserve de quelques corrections mineures, puisque pas tout à fait abouti — me semble témoigner au moins de deux choses :

la parfaite maîtrise d’une écriture poétique capable d’épouser la forme d’une langue-autre ;
la conservation du “génie” de la langue originelle — ce qui, dans l’autre sens, rend si difficile le travail de traduction.

Les quelques corrections et adaptations — risque pris — ont été faites dans cet esprit de fidélité à l’auteur ; ceux qui le connaissent y retrouveront bien évidemment sa “patte”. Bien que non expressément autorisée par Arturo, cette édition se veut un geste d’amitié répondant naturellement à ces gestes d’amitié qu’il savait nous prodiguer.

V.L., le 9 septembre 1997.

 

P.S. : Le 29 août 2003, il n’y a rien à redire ; simplement, l’utilité est autre, moins conjoncturelle, plus intime, plus essentielle…, mais place au texte !

VESTIGE

 

Je me reconstruis
 où, de ce peu de voix
 qui ne se désagrège pas,
 je te parle.

Paul Auster.

1.

Incontournable est la clé
 qui ouvre dans l’absence pleine
 le souvenir déserté

2.

Un cailloux est tombé sur le sable
 et tourne
 l’arc-en-ciel abrite ses couleurs

3.

Le réverbère de la nuit
 est parcours silencieux
 bruissement des feuilles

4.

Le bonheur a perdu sa face
 le trou du matin
 est une attente vide

5.

Picoter les sens de l’eau
 pour que l’arbre chante
 sa chanson des feuilles

6.

Voix immense
 l’espace intérieur est indiscernable
 seul le temps pénètre le seuil

7.

Frapper l’indicible
 avec le temps qui perdure
 dans le tremblement de la voix

8.

L’appel est surdité intacte
 brouillard et transparence des yeux liés
 ou tremblement

9.

Élan immense noirci
 dressant la lumière
 dans la coquille du crépuscule

10.

Le jour est oubli
 gravé à plein vent
 est durée dans la source

11.

L’âme nourrit un nom
 le fruit est un rêve
 qui résonne la nuit

12.

Née dans la langue
 la fidélité hérite
 d’un vocable parfait

13.

L’être n’est pas là
 quel miracle soudain
 raie le silence

14.

Au-delà
 les jours dénombrent et prononcent
 l’homme démuni

15.

Le chemin recule dans le désert
 un souffle soudain caresse
 l’ombre dans sa plénitude

16.

Oublier mon précipice
 soutenu dans mon être
 imposant sa marque à mes pas

17.

Fleurissent la nuit
 les étoiles dans mes rêves
 et toi unique étoile et toi

18.

Je vois par tes yeux
 et dans ton regard je vois
 se dérober mon être

19.

La route ramasse
 les cailloux incertains
 et les pose contre ta porte

20.

À l’épreuve je suis
 un lieu clair
 sans demeure

21.

Griffe l’arbre et la sève
 le feu tourne
 à l’attente du jour

22.

Diamant de ma langue
 tu es
 scintillant dans le lointain

23.

Parviendront les trésors
 de ton être
 dans le silence de ma bouche

24.

Tu auras ton secret
 étonnant ta lampe réjouie
 ciblant l’autre

25.

Durera le temps
 quand les mots défaillants
 éblouiront dehors dans l’errance

26.

Cherche le grain
 qui compte parmi le jour
 quand le temps te prend dans sa fureur

27.

Mon chemin lié d’adieux
 erre parsemé d’un œil
 d’un œil éteint

28.

Le feu d’une larme
 réveille la question
 buvant des mots uniques

29.

L’automne a un cœur
 de plomb et de brouillard
 une étoile crépite au loin

 

Arturo Pérez

 

Publié initialement dans les pages ‘Poètes, nos papiers !’ du site sous le clavier, la page, en 2003.

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